Échanges croisés avec Marie-Stéphane Maradeix, Déléguée générale de la Fondation Daniel et Nina Carasso et Guillaume Biennier, directeur régional Rhône et Loire de la Mutuelle France Unie.
- Pouvez-vous nous présenter votre structure ?
Marie-Stéphane Maradeix : La Fondation Daniel et Nina Carasso est une fondation familiale, sous égide de la Fondation de France, créée en 2010, autour deux grands enjeux : l’alimentation durable et l’art citoyen. Ces deux domaines nous semblaient constituer deux leviers contributifs d’une société plus inclusive, plus écologique et plus épanouissante.
Guillaume Biennier : La Mutuelle de France Unie est une mutuelle issue de la fusion d’une quinzaine de mutuelles ouvrières et familiales du territoire français métropolitain et de l’outre-mer. Fondée en 2015, elle reste fidèle aux valeurs mutualistes d’origine, de partage, de solidarité, avec une mise en avant de la notion de proximité pour qu’il y ait une action au quotidien qui vise au besoin des adhérent.·es sur tout le territoire. Sa vocation est de favoriser l’accès à des soins de qualité pour tous.
- Pourquoi vos structures ont-elles souhaité soutenir l’association VRAC ?
M-S. M. : Notre soutien à VRAC a débuté en 2014 par un appel à projets portant sur l’alimentation durable. L’association apportait un nouveau regard sur les enjeux de précarité alimentaire, par sa position sur l’accès digne à l’alimentation.
En parallèle, le modèle de VRAC, s’appuyant sur un partenariat public/privé, avec des soutiens diversifiés comme les mécènes privés, les bailleurs sociaux ou les acteurs publics, nous semblait pertinent. Le potentiel d’essaimage au niveau national était très important, nous avons donc souhaité soutenir le développement. La Fondation Daniel et Nina Carasso s’est concentrée sur le financement de la structure qui se développait, en pensant que le financement de l‘essaimage des nouveaux groupements se ferait par les bailleurs à un niveau plus local.
G. B. : Nous partageons avec VRAC une vision commune de la santé, de l’alimentation et de la justice sociale. C’est l’héritage des mutuelles qui se sont battues pour permettre plus d’égalité dans l’accès aux soins de qualité à un juste prix, et qui rejoignent l’engagement de VRAC.
L’association mène une double action qui nous semble pertinente. A la fois, une action opérationnelle très terrain, à travers l’accès à des produits alimentaires ou d’hygiène de qualité et notamment auprès des personnes qui vivent dans les quartiers populaires et qui sont parfois exclues de beaucoup de dispositifs. En même temps il y a un enjeu de participation au débat public, sur la question de l’alimentation, de la santé, de la justice sociale…
- En quoi les actions de VRAC s’inscrivent-elles dans la vision de vos structures respectives ?
M-S. M. : Pour notre fondation, les enjeux autour de l’alimentation durable sont multiples, à la fois de soutenir la vision systémique de l’alimentation durable, en réfléchissant de la graine au compost, mais aussi la dimension économique, sociale, environnementale… Nous sommes également sensibles au lien entre la justice sociale et l’écologie.
VRAC a cette particularité de ne pas être stigmatisante, de veiller à ne pas véhiculer une vision de l’alimentation qui puisse faire peur (par exemple parler de qualité plutôt que de bio), de faire un vrai travail sur l’agriculture de proximité et tout ce lien social avec les visites, les animations, les collectifs autour de la démocratie alimentaire…
VRAC a cette particularité de ne pas être stigmatisante, de veiller à ne pas véhiculer une vision de l’alimentation qui puisse faire peur.
Marie-Stéphane Maradeix
Pour nous, c’est un partenariat gagnant / gagnant car on apprend beaucoup. Nous apportons des financements, de l’expertise, de l’accompagnement mais nous nous enrichissons aussi beaucoup par l’accompagnement du projet depuis déjà huit ans. Être présent durant les périodes de cheminement et de tâtonnement, c’est riche en enseignements.
G. B. : VRAC contribue pleinement à un projet de solidarité pour lutter contre les inégalités. Il fait écho à ce que nous faisons de notre côté au travers de notre complémentaire santé, de notre réseau de soin, de l’accompagnement de nos adhérents… C’est pourquoi nous avons choisi de mettre l’association au cœur de notre opération parrainage (1 parrainage = 5 € reversés par notre mutuelle à VRAC).
Le fonds de dotation de la Mutuelle de France Unie contribue au financement d’actions de solidarité ou écologique. Ce fonds a axé son action autour de trois thématiques majeures : la santé, l’écologie et la solidarité. Et l’alimentation est au carrefour de ces sujets.
Par ailleurs, notre vision de la santé se différencie d’un certain nombre d’acteurs du champ de l’assurance santé. Nous nous appuyons sur la définition de l’OMS, qui considère la santé comme « un état complet de bien-être physique, psychique et sociale et ne consiste pas uniquement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». La santé est donc aussi une question d’alimentation, d’ailleurs nombreuses sont les études qui démontrent leur lien.
- Quels sont selon vous les enjeux autour de l’accès à une alimentation de qualité dans les quartiers populaires ?
M-S. M. : Nous dénombrons plusieurs enjeux. Pour nous, la priorité est que quel que soit son niveau de revenu, une personne puisse accéder à une alimentation de qualité. Mais cette vision est freinée par deux difficultés : la montée de la précarisation des personnes et l’augmentation des difficultés d’accès à une alimentation de qualité. Au-delà, une problématique plus urbaine apparaît autour des déserts alimentaires et par la normalisation de l’alimentation industrialisée, par la publicité et le manque d’actions des pouvoirs publics.
L’enjeu est donc pour notre fondation de promouvoir des modèles alternatifs qui fonctionnent comme VRAC, mais aussi de valoriser d’autres discours sur l’aide alimentaire et même en sortir ! Il est aujourd’hui indispensable de continuer à marteler que d’autres modèles existent.
G. B. : L’alimentation est à la fois un levier majeur d’une « bonne santé » mais aussi un domaine où les inégalités sociales sont très marquées, très fortes. Le premier enjeu pour notre fonds de dotation est de soutenir les initiatives qui participent à une alimentation durable, en permettant aux personnes d’accéder à une alimentation de meilleure qualité et en permettant à des paysans de mieux vivre de leur activité professionnelle.
Au-delà, il y a aussi un enjeu d’inclusion, en cassant les frontières entre les centres villes et les périphéries et en créant des espaces d’échange entre la ville et la campagne.
Pour nous, l’enjeu est également étroitement lié à notre histoire. Les mutuelles se sont toujours intéressées au lien santé / alimentation. Par exemple, ce sont des ouvriers qui ont créé les premières coopératives de consommation, il y a donc vraiment cette filiation de longue date entre le monde ouvrier, le modèle mutualiste et la question de l’alimentation.
Pour nous, l’enjeu est également étroitement lié à notre histoire. Les mutuelles se sont toujours intéressées au lien santé / alimentation. Par exemple, ce sont des ouvriers qui ont créé les premières coopératives de consommation.
Guillaume Biennier
- Au-delà de l’alimentation durable dans les quartiers prioritaires des villes, quels domaines la fondation soutient-elle ?
M-S. M. : Sur les enjeux alimentaires, la fondation a également développé le programme TETRAA qui vise à analyser, consolider et amplifier la transition en s’appuyant sur la coopération entre acteurs locaux. Nous soutenons aussi un programme autour de la démocratie alimentaire pour répertorier les études réalisées et documenter les initiatives menées. Enfin, nous avons tout un volet autour de l’agroécologie, avec le financement de nombreux travaux de recherche participative.
Sur l’axe art citoyen, nous nous intéressons aux questions d’éducation culturelle. Nous avons également un programme qui mêle art, science et société. Basé sur les interactions entre artistes et chercheurs, il a pour objectif de nous éclairer sur les grands enjeux du monde contemporain.
Le dernier programme porte sur la figure de l’artiste lui-même, engagé dans la société. Par exemple, nous accompagnons des programmes de résidence ou des artistes en exil qui ont dû fuir leur pays.
G. B. : La mutuelle travaille autour de trois axes : la santé, l’action écologique et la justice sociale.
Notre soutien porte sur des projets qui ont souvent entre une et trois de ces dimensions dans leur dynamique. En plus de cette action au travers du fonds de dotation, la mutuelle mène aussi des actions en direct. Pour le 8 mars, journée internationale des droits de la femme, nous avons par exemple organisé dans dix villes différentes la projection du film « Debout les femmes ».
Nous participons également à des actions dans le cadre d’Octobre Rose et sommes partenaires de nombreuses associations comme Règles Elémentaires, la première association française de lutte contre la précarité menstruelle, ou encore la Water Family qui a pour mission d’éduquer à la préservation de l’eau, de notre santé et de l’ensemble du vivant.
Enfin, une action a été menée à Villeurbanne le 13 mai avec VRAC Lyon Métropole, durant l’événement Justice alimentaire étudiante autour de l’alimentation et de l’éco-intimité.
- Quel est selon vous le rôle d’une structure mécène dans le développement des organisations qu’elle soutient ?
M-S. M. : Être une fondation familiale nous détache des enjeux de marque, nous gardons donc une grande indépendance et une flexibilité qui nous permettent de soutenir des structures plus variées. On a également la capacité de pouvoir soutenir des parties plus “ingrates”, par exemple des financements liés à la structure et non à de l’investissement, car sans structure il n’y a pas de projet. C’est ce que nous faisons pour VRAC, on soutient la structure c’est-à-dire des frais de personnels, des frais d’ingénierie, car on sait que la consolidation de la structure c’est la garantie de construire un modèle plus pérenne, d’autres partenaires peuvent en parallèle financer la partie projet.
Notre rôle est aussi d’accompagner en soutenant d’autres actions complémentaires comme de la prospective, de la capitalisation, de la recherche… Nous sommes là pour connecter et permettre aux rouages de se mettre en route.
Nous sommes là pour connecter et permettre aux rouages de se mettre en route.
Marie-Stéphane Maradeix
G. B. : Il y a d’abord un aspect financier non négligeable en contribuant à ce que la structure puisse mener ses actions. C’est d’autant plus dur lorsque l’on voit le durcissement pour l’accès à des fonds publics, donc le soutien des fonds privés devient plus commun. Pour autant, on ne peut pas réduire le rôle du mécène à ce volet financier.
A mon sens, d’autres dimensions entrent en jeu, comme le fait la fondation Daniel et Nina Carasso. Par exemple, nous jouons un rôle de mise en lien avec d’autres acteurs publics, sur le territoire. Saint-Étienne notamment, on est en lien avec VRAC Saint-Étienne. Comme nous avons une bonne connaissance du territoire, on participe à la mise en lien avec d’autres acteurs pour faire en sorte que l’association puisse s’installer au mieux sur le territoire. Ça peut être aussi la mise à disposition de compétences ou de matériel.
Comme nous avons une bonne connaissance du territoire, on participe à la mise en lien avec d’autres acteurs pour faire en sorte que l’association puisse s’installer au mieux sur le territoire.
Guillaume Biennier
Pour en savoir plus sur les structures :