La Maison Popote, une expérimentation de démocratie alimentaire menée par VRAC Bordeaux

C’est à Floirac, à quelques kilomètres de Bordeaux, dans le quartier de Dravemont, que la Maison Popote a vu le jour en février 2022. Dans ce quartier, le seul lieu d’achat alimentaire est un magasin LIDL qui doit fermer pour plusieurs mois en raison de travaux. VRAC Bordeaux est déjà présente sur le quartier avec un groupement d’achat lancé en février 2018.

Lorsque la fermeture du LIDL est annoncée, l’association décide en partenariat avec la Ville de Floirac, Bordeaux Métropole et le bailleur social Aquitanis d’ouvrir une épicerie. Le projet mené en collaboration avec les habitant·es du quartier est l’occasion d’expérimenter de nouvelles modalités de démocratie alimentaire. Une épicerie, mais également un lieu de rencontres et d’ateliers autour de l’alimentation : la Maison Popote.


Une triple tarification pour s’adapter aux moyens des habitant·es

Une étude socio-géographique portant sur les conséquences de la fermeture du supermarché dans le quartier est menée par l’équipe de VRAC Bordeaux. Elle permet rapidement d’identifier le profil des personnes les plus impactées par la fermeture du supermarché : plutôt une personne âgée, ayant du mal à se déplacer ou qui n’est pas véhiculée et qui en plus d’une perturbation dans son organisation, peut potentiellement subir un isolement.

Afin de garantir un accès au plus grand nombre durant une période où l’accès géographique à l’alimentation est restreint en raison de la fermeture du LIDL, la Maison Popote propose une triple tarification : prix coûtant, prix accessible à 30% du prix coûtant et prix épicerie à +20% du prix coûtant. Grâce à un système solidaire que l’on a appelle « caisse d’ajustement des prix », chacun·e contribue selon ses moyens en choisissant librement le prix souhaité à chaque passage en caisse.

Pour définir quel tarif les personnes doivent payer, aucun justificatif n’est demandé mais un questionnaire est mis en place pour identifier leurs difficultés à se déplacer : possédez-vous un véhicule personnel ? avez-vous un accès aux transports en commun ? avez-vous accès à une offre abordable à proximité de chez vous ?

L’espace épicerie propose principalement les produits du catalogue de l’association VRAC ainsi que des fruits et légumes fournis par un producteur local et quelques produits d’hygiène et d’entretien. La caisse d’ajustement est permise par des financements publics et privés qui viennent équilibrer le prix de vente de produits en deçà du prix coûtant, sans négociation ni conséquence auprès des producteurs·rices. Une solidarité importante aux yeux des adhérent·es. Selon Samia, habitante du quartier et adhérente depuis le lancement du projet « l’argent permet vraiment de payer les producteurs. Le système écrase les paysans alors que ce sont eux qui nous nourrissent ».

Coralie Loirat, coordinatrice du lieu et salariée de VRAC Bordeaux, explique l’importance d’afficher les 3 prix (+ 20%, prix coûtant, -30%) : « ils permettaient aux personnes de se rendre compte du prix qu’elles étaient en capacité de payer et d’illustrer concrètement le principe de cette caisse d’ajustement ». Les personnes hors quartier, pour lesquelles le tarif +20% s’applique, sont très peu nombreuses.

fruits légumes locaux épicerie
habitants cuisinent fruits et légumes locaux

Pas d’autres commerces sur le quartier, une zone peu desservie par les transports, ces personnes ont peu de raison de se déplacer. Ainsi, près de 90% des adhérent·es font partie du quartier. D’un point de vue financier, le projet ne trouve donc pas d’équilibre entre les +20% et -30%. Une preuve pour Coralie Loirat de la nécessité de construire une « solidarité (qui) ne peut pas reposer uniquement sur les foyers mais plutôt sur un principe plus structurel ».


Des produits de qualité et du lien social

En 14 mois, 165 foyers adhèrent et plus de 300 habitant·es sont venu·es régulièrement acheter une partie de leur alimentation. 42 000 € de produits de qualités vendus : plus de 7 tonnes de fruits et légumes bio, 14 000 œufs, 2 tonnes de produits secs. Les fruits et légumes représentent 40% des ventes en valeur et témoignent d’un réel besoin des adhérent·es pour ces produits. Pour Coralie, les fruits et légumes vendus à la Maison Popote ont réellement participé à l’attrait du lieu auprès des habitant·es. Un succès qui confirme « les enjeux autour de l’accès aux fruits et légumes, pour la santé et pour l’environnement. »

Samia abonde : « je n’ai jamais aussi bien mangé, j’ai vu la différence. Avec l’inflation, la vie est devenue dure. Il y a des produits que j’achète à la Maison Popote et que je n’aurai pas pu acheter ailleurs, maintenant je remange des betteraves, ailleurs ça coûte trop cher ».

En parallèle, la Maison Popote constitue un lieu de rencontres fort du quartier. On s’échange des recettes, on partage un thé ou un café, on descend pour acheter un produit mais surtout pour discuter avec ses voisin·es. Durant la période d’ouverture de la Maison Popote, plus d’une trentaine d’ateliers de convivialité et de rencontres sont organisés ainsi que plusieurs rencontres avec les producteurs·rices qui approvisionnent le lieu. Le projet rassemble des habitant·es aux attentes multiples, tant sur l’alimentation de qualité comme l’exprime une adhérente « j’essaie de passer du conventionnel au bio, donc c’est bien ici car c’est vraiment du bio et pas trop cher » que sur le lien social comme l’explique une autre personne familière des lieux « ça me réchauffe le cœur de venir à la Maison Popote ».


Expérimenter la démocratie alimentaire…

Avec la perspective de la fermeture de la Maison Popote les habitant.es ont exprimé leur volonté de voir perdurer ce lieu d’approvisionnement, de vie et de convivialité.  Un cycle d’ateliers a alors été mis en place pour réfléchir collectivement les différents scénarios des suites à donner au projet, après la fermeture du lieu au printemps 2023. Tout au long de ce cycle d’animations, une dizaine de participant·es constitue le noyau dur et se mobilise à chaque rencontre proposée.

Dans un premier temps, un cycle d’ateliers est proposé aux habitant·es intéressé·es pour partager leurs expériences, ressentis et aspirations en matière d’alimentation : cartographie sensible, balade alimentaire… Cette étape permet d’identifier les difficultés d’accès aux fruits et légumes en raison du manque de transport en commun et la problématique du prix des produits bios. En effet, les fruits et légumes bios restent en moyenne 50% plus chers* qu’en agriculture conventionnelle.

Afin de compléter cette première étape, une projection débat autour du film « La part des autres, l’accès de tous à une alimentation de qualité et durable » est organisée. Un moment fondateur pour le groupe. Les adhérent·es mettent alors en perspective le documentaire qui illustre les situations de précarité des paysan·nes, l’indignité du système de l’aide alimentaire et la force du projet de la Maison Popote.

Pour Samia, ce document est une véritable prise de conscience : « La projection du film m’a appris beaucoup de choses, j’ai été sidéré par les méthodes d’achat aux producteurs. Les grosses entreprises sont gagnantes puisqu’elles donnent leurs invendus à l’aide alimentaire, j’ai l’impression qu’ils sont toujours gagnants et que nous sommes toujours perdants. »


Ces temps successifs permettent aux habitant·es de monter en compétence, de mieux comprendre le fonctionnement du système agricole et alimentaire, de l’organisation structurelle de l’aide alimentaire et ses dérives. Ce cycle alimente également les réflexions quant au projet qui remplacera la Maison Popote. La mobilisation des personnes sur le temps long constitue l’un des grands enjeux de l’équipe. Comme l’explique Coralie, participer au cycle nécessite un engagement lourd pour que les choses avancent, avec presque une rencontre par semaine au moment le plus dense. Les habitant·es prennent du temps pour le projet sans certitude sur sa concrétisation.


… Pour penser les suites de la Maison Popote

Avec l’équipe de la Maison Popote, les habitant·es dessinent les contours du lieu qui succèderait à la Maison Popote. Ils et elles travaillent autour d’un budget, étudient la faisabilité logistique…

Pour Coralie, la transparence sur la dimension temporaire du projet dès son lancement permet justement d’embarquer les habitant·es : « ils ne voulaient pas que ça ferme mais comprenaient que ça devait fermer pour des raisons financières, cela a permis de réfléchir ensemble à la suite, de les mobiliser sur le cycle démocratie alimentaire. On ne pensait pas qu’autant d’habitant.es allaient se mobiliser et s’engager durablement».

Ils aboutissent à l’envie de maintenir un point d’approvisionnement régulier et de proximité en fruits et légumes frais, de qualité dans le quartier de Dravemont, accessible financièrement à toutes et tous : un lieu ouvert 1 demi-journée par semaine avec des produits frais et le maintien de la caisse d’ajustement des prix, des animations régulières pour valoriser les invendus de fruits et légumes et toujours un espace participatif pour poursuivre les réflexions autour de la démocratie alimentaire. En dernier lieu, les habitant·es restituent le résultat de leurs réflexions collectives auprès des décideurs et partenaires pour réfléchir à la suite du projet. Cette rencontre permet aux personnes de renforcer leur confiance et de se sentir écoutées.


Un marché hebdomadaire pour garantir l’accès à des produits frais

A la fermeture de la Maison Popote, fin avril 2023, VRAC Bordeaux relance son groupement d’achat sur le quartier. L’enjeu pour l’association est alors de proposer aux adhérent·es de la Maison Popote de devenir adhérent·es au sein du groupement. Un pas qui peut être difficile à franchir puisque le groupement d’achat ne bénéficie pas d’une caisse d’ajustement, les prix des produits secs augmentent donc sensiblement, surtout dans un contexte d’inflation. A titre d’exemple, l’huile d’olive bio était d’abord vendue 3€/L pour les personnes du quartier, puis passe à 5€/L et enfin 7€/L. Ainsi, des réflexions pour élargir l’accès aux produits et réduire le coût sont en cours, en s’appuyant notamment sur le Fonds Mieux manger pour tous lancé cette année par la DGCS.

Depuis le mois d’avril, les bénévoles se mobilisent chaque mardi matin pour la mise en place d’un petit marché de quartier (réception des fruits et légumes livrés par les producteurs) et l’après-midi les bénévoles participent au point de vente ouvert au public (service aux adhérent.es, tenue de la caisse, rangement…). Chaque jeudi également des adhérent·es viennent cuisiner, dans la bonne humeur, les quelques fruits et légumes de la veille. Ces ateliers de cuisine permettent de sensibiliser à des pratiques alimentaires durables, saines et économiques, en accordant une attention particulière à la valorisation des savoir-faire des habitant·es. Quelques recettes réalisées : ratatouille revisitée, salade irrésistible aux poires et betteraves crues avec sa vinaigrette citron-miel, fenouil gratiné à la Méditerranéenne, salade de poivrons à la marocaine …

recette cuisine fenouil
recette cuisine compote de fruits
recette cuisine poire betteraves

Les bénévoles s’investissent aussi pour participer à la vie du lieu et aux prises de décisions qui en découlent (choix des fruits et légumes, des producteurs·rices, participation à des évènements du quartier, réalisation d’évènement comme la diffusion d’un film dans le cadre du festival Alimenterre ou la visite des jardins partagés du quartier…). Une réunion mensuelle est réalisée par ce groupe d’habitant·es.

La Maison Popote est un projet soutenu par Aquitanis, l’Etat, le département de la Gironde, le programme Quartiers Fertiles, le Grand Projet des Villes (GPV) de la Rive Droite, l’ANRU, la ville de Floirac et Bordeaux Métropole. Merci pour leur soutien.

*D’après un relevé de prix effectué dans 6 points de ventes différents, autour du quartier de Dravemont en novembre 2022