Voyage d’études à Bruxelles : des lieux pour la démocratie alimentaire

En décembre 2023, à l’occasion d’une visite d’accompagnement auprès de l’association VRAC Bruxelles, Lisa & Lorana de VRAC France sont allées à la découverte des Cuisines de Quartier et des actions locales qui fonctionnent et engagent les habitant·es des quartiers populaires bruxellois. Suivez les guides !

Immersion dans les quartiers populaires bruxellois

Direction Jette, dans le Nord de Bruxelles. Cette commune se trouve dans ce qu’on désigne ici comme l’extension du “croissant pauvre de la ville”, c’est-à-dire la partie plus paupérisée du territoire bruxellois, dont la forme évoque celle d’un croissant ! Ici comme en France, une politique de la ville existe mais reste très disparate selon les zones. On remarque d’ailleurs qu’à Bruxelles, le terme de QPV (Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville) n’existe pas. On parle plutôt de « Zone de Rénovation Urbaine », de « Contrats de Quartier Durable » et les politiques sociales-santé pointent des “quartiers prioritaires”. Dans une même rue, on peut retrouver des immeubles au standing très contrasté et des habitant·es aux situations variées et éloignées les unes des autres. Ce grand écart est possible d’un seul numéro de rue à l’autre.

Quelques chiffres

  • 600 000 personnes font appel à l’aide alimentaire en Belgique, soit 5 % de la population*
  • 90 000 personnes bénéficiaires de l’aide alimentaire vivent dans la région bruxelloise*
  • 1 ménage sur 2 est isolé dans la capitale, soit 1,8 million de personnes (célibataires, retraités…)**

*Source : Fédération des Services Sociaux Associatifs en Wallonie et à Bruxelles, 2023.
** Source : Statbel, 2023.

Nous arrivons à l’Espace CBO (C’est Bon d’être Ouvert), un tiers-lieu en occupation temporaire qui regroupe de nombreuses associations, accueillant dans un cadre chaleureux les habitant·es, et proposant divers ateliers et animations : expositions, cafés citoyens, sessions d’écriture, de cuisine, de danse, jeux, réparation d’objets…

Notre visite est consacrée aux Cuisines de quartier, pour échanger avec l’équipe de cette ASBL (association sans but lucratif) dont nous avons beaucoup entendu parler, composée d’Amélie, Fanny, Tessa et Charlotte.

Un projet de démocratie alimentaire lancé hier…

Tout part d’un travail de recherche action participative débuté en 2015, sur la question de l’accès à l’alimentation durable dans les quartiers bruxellois. Une recherche impliquant un centre universitaire, des associations de quartier et un tout nouveau supermarché coopératif proposant des produits bio et locaux, co-géré par ses client·es, la BEEScoop. La BEEScoop est implantée à Schaerbeek, un autre quartier très dense, multiculturel et partiellement paupérisé de la ville. Après quelques temps d’expérimentation, malgré l’objectif initial de favoriser une réelle mixité sociale au sein des coopérateur-ices, force est de constater que celles et ceux qui s’impliquent ne sont pas vraiment représentatifs du quartier (personnes majoritairement blanches, issues d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure, et dans une relative situation de confort alimentaire). Alors, au-delà des bonnes intentions, comment favoriser réellement une mixité sociale et un accès de toutes et tous à une alimentation durable et de qualité ?

Le Webdoc « Falcoop » : Tous à la même enseigne ? retrace les partages et les questions émergentes de toutes les parties prenantes durant ces 3 années de recherche-action, avec des outils et des pistes d’actions, pour renforcer l’accessibilité de toustes à une alimentation durable et de qualité.

D’après les habitant·es et participante·es aux Cuisines de quartier, le premier élément qui entrave l’accès, cela ne surprendra personne, est le frein financier. Mais il n’est pas le seul. Parmi les freins à l’accès à l’alimentation de qualité, citons les problématiques de temps et d’accessibilité géographique (ce qui fait aussi écho à notre récent rapport sur l’accès à l’alimentation) mais aussi d’accès à des espaces et à des équipements pour cuisiner. Les connaissances, les compétences, les savoir-faire, les habitudes de consommation diverses et variées (saisonnalité, produits, légumes oubliés…) qui fondent la culture alimentaire de chacun·e jouent également un rôle. Et enfin, la situation administrative, puisqu’avoir ses “papiers” et être administrativement identifiable conditionne l’accès à une série de ressources alimentaires.

Au gré de diverses rencontres enrichissantes, notamment avec le RCCQ (Regroupement des Cuisines Collectives du Québec), les participant·es au projet développent la conviction qu’il faut expérimenter et développer la pratique de la cuisine collective à Bruxelles. Car l’expérience québécoise (entre autres, la pratique de la cuisine collective ou communautaire étant très répandue aux 4 coins du globe) le prouve : la pratique de la cuisine collective, en mutualisant les ressources à proximité de chez soi et en stimulant des pratiques d’entraide, peut contribuer à agir sur les freins cités précédemment. L’idée de développer, puis de multiplier des espaces de cuisine collective ouverte aux habitant·es dans tous les quartiers de la ville fait son chemin. Elle est aujourd’hui portée, à Bruxelles, par l’association des Cuisines de Quartier, et nous sommes justement dans l’une de ces cuisines collectives, implantée au sein de l’Espace CBO !

… jusqu’au lancement d’une association qui s’engage pour la démocratie alimentaire aujourd’hui…

Les Cuisines de Quartier de Bruxelles, en quelques chiffres

  • 15 espaces de cuisine
  • 22 groupes de cuisine collective
  • 107 participant·es
  • 10 565 portions cuisinées (soit en moyenne 200 repas par semaine !)

L’ASBL Cuisines de Quartier est financée par 3 type d’acteurs, représentant ses 3 piliers d’action

Les Cuisines de Quartier nouent aussi une multitude de partenariats avec des acteurs associatifs et institutionnels engagés pour la transition alimentaire et la démocratie alimentaire, notamment :

  • Rencontre des continents
  • CREASSA (Collectif de réflexion et d’action sur une Sécurité Sociale de l’Alimentation, avec 1 membre de CDQ impliqué)
  • Agroecology in Action (plaidoyer, institutionnel)
  • Festival Nourrir Bruxelles
  • Les Gratins de la colère : faire sortir la colère sur la précarisation) et autres manifestations et événements dans l’espace public
  • Et VRAC Bruxelles, bien sûr ! Plusieurs groupes de Cuisines de quartier s’approvisionnent désormais chez nos homologues bruxellois !

L’association ne se réclame pas de l’éducation populaire, mais le terme paraît finalement assez juste, la structure souhaitant permettre aux personnes de s’auto-organiser collectivement pour avoir un accès digne et durable à l’alimentation, et lever un certain nombre de freins au fait de se nourrir : temps, matériel, espace…

Les CDQ accompagne des groupes d’habitant·es dans leurs premiers pas d’organisation, trouve des cuisines à mettre à leur disposition, et, au fil du temps, leur transmet et construit avec eux des outils permettant de faciliter leur fonctionnement en tant que groupe de cuisine. Une démarche de lancement de « groupements de cuisines » qui fait évidemment écho au principe originel de l’association VRAC, d’impulser la création des groupements d’achats locaux. D’autres demandes peuvent émerger de la part des groupes pour accéder à des nouvelles techniques, à l’acquisition de matériel, à la mise en commun de savoirs ou encore à une implication plus politique des personnes dans l’écosystème de l’association.

« On veut aller à la rencontre des gens dans leur cuisine »

Sur la raison d’être des Cuisines de Quartier

Les groupes de cuisine sont autonomes : chaque groupe choisit la fréquence de ses rencontres, ses objectifs, le type de recettes qu’il cuisine, son mode de fonctionnement. L’ASBL Cuisines de quartier est là pour les soutenir et favoriser le développement d’une entraide entre les groupes. C’est pourquoi les groupes sont fédérés en « Mouvement » : le Mouvement des Cuisines de quartier. Les groupes membres du Mouvement se fixent rendez-vous tous les trois mois pour discuter ensemble de questions communes, échanger réflexions, ressources et bons plans.
Les objectifs des CDQ sont de donner des clés et des informations : « On va à la rencontre des gens dans leur cuisine » s’enthousiasme Amélie. Certains groupes d’habitant·es mitonnent dans l’espace du CBO, d’autres dans des lieux associatifs ou des cuisines partagées d’autres quartiers de la ville. Il n’est pas toujours évident de trouver des endroits disponibles, mais l’ASBL est là pour faciliter les liens, notamment en proposant une convention d’occupation, une assurance volontariat, etc. « Notre vision, notre rêve, c’est que d’ici une dizaine d’années, il y ait des cuisines partagées et des groupes de Cuisines de quartier dans presque tous les quartiers de la ville ! ».

« Que d’ici une dizaine d’années, il y ait des cuisines partagées et des groupes de Cuisines de quartier dans presque tous les quartiers de la ville ! »

Sur la vision et le rêve des CDQ

Via les rencontres régulières des membres du Mouvement, expériences et bons plans s’échangent. Un groupe Whatsapp a même été créé à cette fin, où sont régulièrement mis en partage événements, bonnes affaires, recettes et photos des sessions de cuisine ! Au sein du Mouvement, il n’y a pas de Cuisine de quartier “type”, le “modèle est en adaptation constante, en fonction des demandes, des besoins, des expérimentations des Bruxellois·es. Avec une ligne de force : cuisiner ensemble, en grande quantité, des plats à ramener chez soi.

22 groupes sont désormais membres du Mouvement pour un total actuel de 107 cuistot·e·s. Si le Mouvement est très hétérogène dans sa composition, et rassemble des profils très divers en termes d’âge, de situation socio-économique, de bagage culturel, on note une certaine homogénéité au sein des groupes :il est, assez logiquement, plus aisé de cuisiner avec des personnes qui partagent une même situation financière ou de mêmes affinités culinaires). Certains groupes naissent de façon spontanée, (voisin·es, ami·es…), d’autres sont initiés par des structures professionnelles, associatives (des groupes sont lancés à l’initiative de travailleur·se·s de maisons médicales, de centres d’aide alimentaire, de services sociaux, etc.). En moyenne, les groupes sont composés de 3 à 9 personnes qui se retrouvent à fréquence régulière (voir l’exemple des Mosaïques de saveurs).

La question de l’approvisionnement et de l’origine des denrées est importante, mais ce n’est pas la priorité n°1 et déterminante du fonctionnement d’un groupe. C’est plutôt le fait d’avoir un vrai choix et une variété dans les produits qui semble primordial. Chaque groupe s’approvisionne à sa manière et selon ses moyens : marchés, paniers bio, récupération d’invendus… Un outil appelé “compteur des portions” permet au groupe de calculer, en fonction des achats et quantités cuisinées, le prix d’une portion. Le nombre de portions emportées par chaque membre du groupe peut varier selon qu’on vit seul·e, qu’’on a une famille…) mais l’outil permet de mettre tout le monde à égalité et détermine précisément qui paiera quoi en fonction de ce qu’il/elle a commandé et dépensé. Et la moyenne de prix à la portion (entendez une part de plat cuisiné pour une personne) est plus qu’intéressante : entre 0,60 et 2,50 € la portion !

Les groupes cuisinent en moyenne 3 à 4 plats par session. Les envies de plats et les règles de cuisine diffèrent selon les groupes : préparations avec ou sans sucre (pour répondre à des problématiques de santé comme le diabète), végétariennes, exotiques…
Cependant, une volonté commune ressort des différents groupes : celle de préparer la « cuisine du quotidien ».

Des ateliers s’organisent (cuisine avec des produits locaux) et des échanges se créent avec VRAC Bruxelles, dans l’achat de produits directement à l’association, et également sur l’idée du glanage, qui consiste à récupérer les produits dans les champs ou les vergers après récolte. Cette démarche s’explique aussi par la tension créée par l’inflation, qui demande à imaginer de nouvelles manières de s’alimenter.

… Et des projets et envies pour demain !

Dernièrement, le 17 novembre 2023, a eu lieu la Rencontre Annuelle des Cuisines de Quartier au CBO. L’occasion pour les groupes et l’association de se retrouver et de faire un état des lieux du Mouvement. Y était notamment présenté le concept des “pôles alimentaires de quartier” : en effet, l’expérience bruxelloise montre que des cuisines partagées par plusieurs groupes de Cuisines de quartier, comme c’est le cas au CBO notamment, deviennent des lieux pivots pour le développement de dynamiques de quartier en faveur de l’accès à l’alimentation de qualité. Des liens se tissent avec des maraîchers, des boulangeries artisanales, des potagers et composts de quartier ; certaines de ces lieux deviennent aussi de petits espaces de distribution VRAC ! Petit à petit, ils pourraient jouer un rôle de points de repère sur l’alimentation et la cuisine au sein des quartiers !

Du côté de VRAC, on pense bien évidemment à la Maison Engagée et Solidaire de l’Alimentation (MESA, située dans le 8ème arrondissement lyonnais). Julia, coordinatrice du lieu en France, s’est d’ailleurs rendue avec Gabrielle, chargée de mission à VRAC Lyon Métropole, aux CDQ pour y suivre la formation sur le lancement et l’accompagnement de groupes de Cuisines de quartier. Alors, bientôt des groupes de Cuisines de quartier en France aussi ?

Pour info, la prochaine rencontre annuelle aura lieu le 23 novembre 2024 de 14h à 16h30.
Et pour retrouver l’agenda des Cuisines de Quartiers (formations, ateliers ; etc.) et en savoir plus sur la démarche, c’est par ici !