Une relation étroite avec les producteurs et productrices locaux au sein des groupements VRAC

Voilà 10 ans que les associations VRAC s’approvisionnent auprès de producteurs·rices locaux en fonction de leur situation géographique (des pâtes aux œufs à VRAC Strasbourg Eurométropole, du comté à VRAC Lyon Métropole, des huitres pour VRAC Brest…). Pierre angulaire de l’approvisionnement, le travail avec des producteurs·rices locaux a toujours été une priorité pour constituer le catalogue des produits proposés aux habitant·es.

Et pour cause, pourquoi soutenir la vision d’une alimentation de qualité accessible à toutes et tous si ce n’est pas pour soutenir des modes de production durables et équitables ?

Pour chaque association, les enjeux sont nombreux : soutenir la production de produits de qualité et garantir des revenus dignes, défendre les filières locales et courtes, renouer le lien entre producteurs·rices et mangeur·euses, maîtriser les coûts et limiter les marges en favorisant l’achat en direct…  Une production de proximité est donc favorisée et priorisée au maximum. Elle est complétée par des collaborations avec des producteurs·rices plus éloignés ou des intermédiaires pour les produits non locaux (huile d’olive, fruits secs, chocolat, thé et café…) issus du commerce équitable.

Pour mieux comprendre cet enjeu, rencontre avec Martin Mothe, chargé de mission logistique à VRAC Lyon Métropole, Nathalie Bedel, éleveuse à la ferme de Chasse-Nuage (Longes 69), Lilian Pellegrino, directeur adjoint de VRAC Drôme et Tom Galodé, maraîcher et arboriculteur au GAEC Le Jardin des Buis (La-Roche-sur-Grane, 26) et président de VRAC Drôme.


Première étape, des produits locaux pour les habitant·es

Première étape de l’approvisionnement, le choix des produits qui seront proposés chaque mois à la commande aux adhérent·es. À VRAC, les produits qui intègrent les catalogues s’inscrivent dans des démarches complémentaires : bios / en agriculture paysanne / locaux / équitables. Dans une visée de démocratie alimentaire, les produits sont choisis avec les habitant·es selon leurs attentes, la complémentarité avec l’offre déjà présente sur le quartier, les autres lieux d’approvisionnement… Peu à peu, les associations vont plus loin. Elles mettent en place des groupes d’adhérent·es qui se réunissent pour décider ensemble du développement du catalogue de produits. A VRAC Lyon, le club produits se réunit régulièrement, compare (et goûte !) les produits, consulte les autres adhérent·es… Dernier sujet en date : conserver la moutarde bio dont le coût a augmenté ou proposer une moutarde réalisée avec des grains français mais non labellisée ?

Le club produits de VRAC Lyon Métropole réuni – janvier 2024

Pour VRAC Drôme, les produits provenant du département même représentent 20% de ses ventes en valeur. Les habitant·es ont eux aussi leur mot à dire. L’année dernière, le groupe a par exemple décidé que la farine ne proviendrait plus d’une petite PME située à 250 km mais serait achetée à un producteur local, même si cela se traduisait par quelques centimes de plus sur le prix de vente. A la dernière assemblée générale de l’association, en février 2024, la question a de nouveau été évoquée comme l’explique Tom Galodé, président de l’association et producteur dans le Diois : « nous en avons discuté avec les adhérent·es : privilégier des producteurs locaux parfois plus chers ou des produits qui viennent de plus loin ? Pour l’instant il n’y a pas de décision de prise mais ce sont des choix politiques ».

Petit à petit, la notoriété acquise par VRAC Drôme, qui a été créée en 2021, lui permet d’étendre la liste des producteurs·rices avec qui elle travaille. Lilian a vu la différence en quelques années : « Au départ, on démarchait les producteurs, maintenant ce sont eux qui viennent nous démarcher. Ils nous considèrent comme une nouvelle possibilité de débouché ou parce qu’ils apprécient le projet ». En revanche, les circuits de distribution sont encore parfois à adapter, certains aliments (les légumineuses par exemple) étant produits localement mais uniquement destinés à une vente sur d’autres territoires, avec de nombreux intermédiaires, et donc inaccessibles pour l’association.

Les produits frais vendus par VRAC Drôme

« Qui mange ce que je produis ? »

Pour les producteurs·rices qui décident de travailler de manière durable des produits de qualité, l’accessibilité de leur production est un questionnement permanent. A quoi bon produire une alimentation bonne si elle n’est accessible qu’à des mangeurs·euses privilégié·es ?

C’est ce qui a poussé Nathalie Bedel, productrice de fromages de chèvre bios et au lait cru, à contacter VRAC Lyon il y a presque 10 ans ! Le positionnement de l’association la séduit : « c’est une satisfaction de pouvoir fournir une alimentation bio et de qualité à des personnes qui ne seraient pas en capacité de les acheter ».

Nathalie et Tom ont même choisi d’aller plus loin dans leur engagement en adaptant le prix de leurs produits. La ferme de Chasse-Nuage propose la plupart de ses fromages frais à un tarif inférieur que celui qu’elle propose à ses autres fournisseurs et le GAEC du Jardin des Buis vend également ses pommes à un tarif moindre « afin de soutenir le projet ».

Les maraîchers-arboriculteurs vendent pour le moment uniquement leurs pommes à VRAC Drôme même si leur production est plus large. Sur les 15 tonnes produites chaque année, ils en vendent 10% à l’association ce qui constitue un « débouché notable ». Les produits achetés par VRAC Lyon à la Ferme de Chasse-Nuage représentent quant à eux 6% du chiffre d’affaires de la structure, un débouché qui participe à la diversification du GAEC.


Des visites à la ferme génératrices de lien

Le lien avec les producteurs·rices ne s’arrête pas à la vente de produits de qualité. Les associations du réseau organisent également des visites dans les fermes. C’est l’occasion pour les adhérent·es de sortir du cadre citadin mais aussi de mieux comprendre d’où viennent les aliments qu’ils retrouvent chaque mois pendant les épiceries. La curiosité est de mise pour savoir ce qu’ils et elles mangent, comment les produits tels que le pain ou le fromage sont transformés et comprendre les conditions de travail de celles et ceux qui les nourrissent.

Ces moments participent d’abord au développement du lien social au sein des groupements, c’est l’occasion de rencontrer son voisin ou sa voisine ou des adhérent·es qui viendraient d’autres quartiers. L’intérêt est également partagé par les producteurs·rices. Pour Nathalie, ces temps de visites dépassent le cadre de la découverte agricole, ce sont aussi de « vrais échanges et des moments où on partage sur les parcours de vie de chacun ».

Selon Martin, ces rencontres permettent aussi aux adhérent·es de « mieux comprendre les changements de quantité, de visuel des produits… ». Savoir d’où vient l’alimentation que l’on mange permet également d’être plus compréhensif en cas d’imprévus, que ce soit en raison d’aléas climatiques ou à l’étape de la production. En cette période où le coût des matières premières et de l’énergie se traduisent par une hausse des prix, Martin note une plus grande facilité à expliquer l’inflation sur les produits locaux. Cette transparence est également appréciée des adhérent·es qui sont nombreux·euses à se questionner sur la répartition de la valeur lorsqu’ils·elles achètent leur alimentation dans des lieux plus conventionnels.

Visite à la ferme de Chasse-Nuage

Dans la Drôme, l’association a même proposé aux producteurs·rices de rejoindre la gouvernance de l’association à travers un collège dédié. Pour Lilian, c’est essentiel d’être « très transparent sur les prix » et d’associer les paysan·nes dans un contexte où l’activité associative se réalise autant en zones urbaines (à Valence, Loriol-sur-Drôme et Romans-sur-Isère) qu’en zones rurales (à Die, Crest, Saint Nazaire le Désert…). Des liens très étroits se sont donc noués. Pour Tom Galodé, la question est aussi primordiale, il souligne la nécessité pour les producteurs·rices d’avoir la possibilité de s’exprimer concernant « la gestion de l’accès à l’alimentation pour les personnes en précarité dans la vallée de la Drôme ».


Un projet atypique : définir de nouvelles manières de collaborer

Le fonctionnement des associations VRAC est singulier : un principe de groupement d’achat, les personnes réalisent leur commande 2 semaines avant de la récupérer, pas de lieu fixe mais l’installation d’une épicerie éphémère dans un centre social ou une MJC… Pour les producteurs·rices, ce fonctionnement est parfois plus complexe que la vente sur un marché ou la livraison à un revendeur. Par exemple, les produits frais ne peuvent pas être stockés trop longtemps, ce qui impose plus de contraintes aux producteurs qui doivent livrer uniquement la quantité demandée.

En contrepartie, les associations peuvent être parfois plus compréhensives que des acheteurs traditionnels et les commandes sont régulières d’une année sur l’autre. Pour Martin, la collaboration est « plus fine » : « on s’adapte aux quantités disponibles qui varient selon la saison » par exemple pour du fromage. Les producteurs·rices choisissent quant à eux de privilégier parfois VRAC pour que les adhérent·es puissent continuer d’acheter leurs produits, d’autres clients plus aisés ayant plus de possibilités d’approvisionnements ailleurs. C’est le cas de la ferme de Chasse-Nuage qui continue d’approvisionner l’association même pendant l’hiver quand les chèvres produisent une quantité moindre de lait.

Préparation des commandes avec les adhérent·es de VRAC Drôme

Autre collaboration innovante, pour la première fois VRAC Lyon s’engage auprès des Ruchers de Chartreuse, l’un de ses fournisseurs de miel, sur une quantité annuelle d’achat. Les producteurs réservent une partie de la production à l’association puisqu’ils ont la garantie que leurs produits seront achetés et travaillent donc avec plus de visibilité .


Mutualiser l’approvisionnement et soutenir les filières locales

L’accès à une alimentation choisie et de qualité est un des éléments distinctifs de VRAC par rapport à d’autres associations d’aide alimentaire qui proposent aux personnes des invendus issus de l’industrie agro-alimentaire. Mais partout des questionnements se posent sur les souffrances générées par ce modèle… VRAC Lyon Métropole s’est donc associée avec 2 autres structures, le GESRA (Groupement des épiceries sociales et solidaires de Rhône-Alpes) et les Escales Solidaires d’Habitat et Humanisme. Leur approvisionnement repose sur tout ou partie de produits issus d’invendus ou de la banque alimentaire. Ensemble, dans le cadre du projet Territoires à VivreS Grand Lyon, ils ont décidé de mutualiser leur approvisionnement.

Première étape : la définition du cahier des charges : agriculture biologique et/ou paysanne, maximum 150 km et moins si possible, équitabilité, intérêt du producteur pour le projet….

Les structures décident également de ne pas négocier les prix avec le producteur. Depuis septembre 2023, elles ont commencé à s’approvisionner de manière mutualisée, en achetant d’abord des légumes de garde, des œufs et du lait. L’éventail de produits devrait peu à peu s’élargir selon les besoins des trois associations et elles pourraient être rejointes par d’autres structures. Avec l’augmentation visée des volumes d’achat, les associations envisagent également l’expérimentation d’une plateforme logistique mutualisée, « un choix politique de coopération pour proposer un autre système » selon Martin.


Travailler l’accès à des produits frais et locaux

L’accès à des produits frais et locaux constitue une priorité pour les habitant·es, un besoin largement partagé lors de la grande enquête menée auprès des adhérent·es de l’association en 2023. Parmi les personnes en précarité, plus d’une personne sur deux se trouve obligée de diminuer sa consommation de fruits et légumes pour faire face à l’inflation. L’équipe lyonnaise de VRAC réfléchit donc à améliorer l’accès aux produits frais avec la mise en place d’un marché de légumes, de fruits, de pain et peut être de produits laitiers les jours d’épicerie.

Dans la Drôme, ces questionnements sont partagés. Pour le moment l’association propose uniquement des fruits et légumes de garde qui ne nécessitent pas aux producteurs·rices de prévoir leur production un mois en amont. Des réflexions sont donc en cours avec les acteurs locaux : partenariat avec un magasin de producteurs·rices, système de paniers… De nouvelles expérimentations devraient voir le jour dans les mois ou années à venir.